Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t2, 1905, trad. Khnopff.djvu/88

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qu’au monde, de me laisser trahir, humilier, tourmenter, anéantir par lui, afin de pénétrer ainsi dans sa conscience. Alors je lui dirai, comme Jésus à ses disciples, le soir de la Cène : « Vous ne connaissez que le lait de ma doctrine ; maintenant vous apprendrez à connaître son sang : venez et buvez, afin que je sois en vous ! »

Ou bien le second parti : je renonce à toute possibilité de jamais entendre mes œuvres, de jamais les révéler entièrement au monde. C’est un sacrifice ; et cependant, pour ce qui est du plaisir que j’y prendrais, ce n’est peut-être qu’une tentante chimère. En effet, très clairement, la voix me dit que je n’arriverai jamais au plaisir, à la satisfaction, par la représentation de mes œuvres ; que toujours il restera un tourment secret, qui me martyrisera d’autant plus que je devrai le cacher encore et le nier, si je ne veux point passer pour un insensé. Puis, si je renonce, oh ! quelle délicieuse image se lève devant moi ! D’abord la pauvreté personnelle pleine et entière ; plus jamais le moindre souci de possession. Une famille, qui me reçoit chez elle, pourvoit à toutes les menues nécessités de ma vie : je lui abandonne pour cela tout ce qui pourra jamais être mien. Là, ne plus rien faire qu’écrire mes dernières œuvres : tout ce que j’ai encore en tête. Alors je laisserais tranquillement au démon qui me garde le soin d’évoquer un jour celui qui révélerait