Page:Wagner - L’Anneau du Nibelung, trad. Ernst.djvu/100

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Bien que ma traduction — par suite de ce respect du texte musical — ne soit pas tout à fait aussi littérale qui je l’eusse souhaitée, plusieurs lecteurs lui reprocheront sans doute de l’être trop ; ils y relèveront des tours de phrase inusités, des constructions anormales. A ceux-là je puis répondre que si telles inversions, telles formes étranges n’appartiennent plus au langage courant, elles ne sont pas essentiellement contraires au génie de la langue, car le seizième siècle les a maintes fois pratiquées, et nos classiques même en ont souffert d’analogues. Mais d’autres motifs m’ont décidé à encourir les reproches d’étrangeté, voire d’incorrection, que m’adresseront ces critiques : ce n’est qu’au prix d’une grande audace de construction que l’on pourra donner à une traduction de Wagner le mouvement et la puissance du texte original. De propos nettement délibéré, je suis allé dans cette voie aussi loin que cela m’a été possible, acceptant pour limitation unique la nécessité de demeurer intelligible. Encore faut-il répéter que la présente version est faite pour être chantée, et que la musique dégage, éclaire, accentue des significations qui peuvent sembler douteuses à la lecture. Par exemple, à la fin du premier acte, Sieglinde reconnaît son frère ; transportée, elle le nomme de son nom — Siegmund ; j’ai traduit littéralement l’une des deux affirmations qui constituent la réponse du héros : « Siegmund bin ich — Siegmund suis-je !» L’accent fort et le temps fort de la mesure se trouvant sur le mot allemand bin, je ne pouvais écrire «je suis» au lieu de « suis-je », puisqu’alors ils auraient porté sur le mot «je», et non sur le mot «suis» (ce qui est indispensable). A la lecture, cette forme pourra sembler plus propre à l’interrogation qu’à l’affirmation, bien que le contexte, la situation, la progression scénique s’opposent ici à toute méprise ; mais la musique supprime la possibilité d’un doute.