Page:Wagner - L’Anneau du Nibelung, trad. Ernst.djvu/207

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–––––––––––Que nul infâme
–––––––––––n’ose approcher : —
–––––––––qu’un Homme ici t’éveille seul,
–––––––––plus libre que moi, le Dieu !
(Brünnhilde, saisie d’émotion et d’extase, se jette dans les bras de Wotan.)
Wotan
–––––––––Ces yeux baignés de clarté,
–––––––––ces yeux baisés tant de fois,
–––––––––––quand mon baiser
–––––––––––payait ta vaillance,
–––––––––––et quand s’ouvraient
–––––––––––pour le lot des braves
–––––––––tes douces lèvres d’enfant ;
–––––––––ces deux yeux, soleils de mon cœur,
–––––––––éclairs des jours de combat,
–––––––––––lorsqu’un espoir
–––––––––––plus immense qu’un monde
–––––––––––brûlait mon sein
–––––––––––d’éperdus désirs,
–––––––––d’angoisses sans mesure :
–––––––––––ma lèvre encor
–––––––––––goûte leurs larmes.
–––––––––––en l’adieu dernier
–––––––––––du dernier baiser !
–––––––––––Qu’à l’Homme enviable
–––––––––––brillent leurs feux ;
–––––––––pour moi, Dieu misérable,
–––––––––à jamais ils se ferment !
–––––––––––Le Dieu — qui
–––––––––––s’écarte de toi,
–––––––––te prend d’un baiser le Divin.
(Il l’embrasse sur les deux yeux, qui demeurent fermés aussitôt : elle glisse en arrière, doucement inerte, dans ses bras. Il l’entraîne avec tendresse et la couche sur un tertre de mousse un peu bas, au-dessus duquel un sapin étend largement ses branches. Une fois encore il contemple ses traits, et ferme alors le casque sur sa tête ; de nouveau ses regards s’attardent douloureusement sur la forme aimée, qu’il recouvre finalement du long bouclier d’acier de la Walkyrie. — Alors, avec une solennelle résolution, il marche vers le milieu de la scène, et tourne la pointe de sa lance vers un puissant bloc de pierre.)