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AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR

ne voulons-nous pas ? Voulons-nous, ou ne voulons-nous pas, Cité fondée sur l’artifice, cesser d’accuser d’artifice les Poètes, les Poètes qui seuls, refuges de toute sincérité, se sont exilés dans leur âme et dégagés vers la Nature, exilés d’une Cité de mensonge et d’apparences, et dégagés d’une Société dont l’Art ne saurait sans déchoir interpréter l’ignominie ? Voulons-nous cesser, ou ne voulons-nous pas ? Voulons-nous, ou ne voulons-nous pas, grâce à l’Art qui n’a qu’une patrie, laquelle est l’Ame, grâce à l’Art qui n’a qu’un domaine, lequel est l’Air, grâce à l’Art qui n’a qu’un instant, l’Eternité[1], voulons-nous, ou ne voulons-nous pas nous délivrer des contingences, nous délivrer des conventions, nous délivrer des préventions, nous délivrer des préjugés, nous délivrer des habitudes, nous délivrer des hébétudes, nous délivrer des papotages, et nous délivrer des reportages de l’immédiate réalité, de la réalité relative ? Voulons-nous, ou ne voulons-nous pas nous en libérer grâce à l’Art, afin de pouvoir à notre tour, plongeant au fond de nos propres âmes comme le Poète au fond de la sienne, nous y ressaisir, et nous y ressaisir hors du siècle, hors des illusions du temps et du lieu, en pleine Éternité seule vraie, en pleine surnaturelle Nature, en pleine profonde Humanité, générale, abstraite et pourtant vivante, – seule

  1. Cf. Charles Morice, La Littérature de tout à l’heure (Perrin et Cie, 1889), passim. – Quelque intelligemment admiratives, du reste, que soient les pages consacrées dans ce livre à Richard Wagner, elles contiennent, à mon humble avis, des erreurs d’appréciation qui me défendent de les recommander à des lecteurs mal préparés. – N’importe ! Ce que notre génération doit à M. Charles Morice, nous ne pourrons l’oublier jamais. Cet aîné, – un aîné bien jeune ! – fut l’un de ses initiateurs. Et si je ne saurais m’associer à certains jugements que j’estime inexacts, je nous dois à tous deux de déclarer que, dans le développement qui motive cette note, je me suis parfois souvenu de l’accent de ce noble Verbe.