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WOTAN, en un songe, à voix basse.

Porte et portail protègent, pour moi, le bienheureux palais des joies : l’honneur de l’Homme, la puissance éternelle, s’élèvent à la gloire infinie ![1]

FRICKA le secoue.

Debout, sors du doux leurre des rêves ! Réveille-toi, homme, et regarde !

WOTAN se réveille, el se soulère quelque peu ; le spectacle du Burg, sur l’heure, fascine ses yeux :

Il est achevé, l’œuvre éternel[2] : sur la cime, la haute cime du mont, Burg-des-Dieux, palais magnifique, il resplendit, puissant, majestueux à voir, sublime, dominateur enfin, tel que l’avait conçu mon rêve, tel que l’évoquait mon Désir ![3]

  1. Ce passage, le premier parmi d’autres, suffit pour prouver à quel point Wotan peut, d’un bout à l’autre du rôle, être considéré, surnaturel à part, comme une personnification de notre Pensée humaine, de nos Désirs humains d’agir et de posséder. Certes, il y a dans son personnage bien d’autres choses, mais il y a notamment celles-là. L’Edda de Snorro ne rapporte-t-elle pas : « Nous croyons qu’Odin et ses frères gouvernent le ciel et la terre ? Nous donnons le nom d’Odin au maître de l’univers, parce que ce nom est celui du plus grand homme que nous connaissons ? Il faut que les bommes l’appellent ainsi. »
  2. Il importe de bien saisir que ce « Burg », plus tard nommé Walhall, a déjà un sens symbolique. – Je laisse au Drame de le suggérer, et à ces paroles de Brünnhilde (conclusion de la Deuxième « Journée » : « Passe donc, monde (ou : « âge » ) brillant du Walhall ! Qu’en poussière s’écroule ton Burg orgueilleux ! Adieu, resplendissante magnificence des Dieux ! » etc. – Au surplus, le mot a éternel (ewig), fréquemment employé dans l’Anneau du Nibelung, n’y désigne-t-il, presque toujours, qu’une « éternité » tout artificielle, – et, non plus que le mot hébreu correspondant, n’a nulle valeur mathématique.
  3. Littéralement : « comme ma Volonté l’a déterminé. » Wille peut signifier d’ailleurs aussi Desir, et, si j’ai choisi ce dernier mot, ce n’est pas sans avoir médité. Je ne puis malheureusement me livrer, pour motiver l’emploi de chaque terme, à des dissertations d’ordre philosophique. Qu’il me suffise de redire ici, une fois pour toutes, que cette traduction, tout entière, repose sur une première traduction littérale que je compte bien publier un jour, à part ou jointe à la présente, mais qui, actuellement, n’eût point rempli mon but. Inutile de faire remarquer que si je m’étais contenté de cette première traduction, j’aurais eu à me donner, en moins, tout le mal que m’a coûté celle-ci et sans doute j’aurais assumé des responsabilités moindres. Mais j’ai expliqué quelles raisons m’ont poussé à considérer tel infidèlement fidèle mot-à-mot comme la pire des caricatures d’un poème dramatique aussi parfait que possible.