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j’ai interrogé : « S’il est pour l’homme un bien souverain, préférable aux délices, à l’amour de la Femme, dites-le moi, révélez-le moi ! » Mais partout où la vie circule, on a ri de moi : dans les eaux, dans les airs, sur terre, tout aspire à l’Amour, tous aspirent à la femme. – Un seul être a maudit l’Amour, pour de l’Or rouge[1][2] : c’est Nacht-Alberich[3], le Nibelung ; il courtisait les Filles-du-Rhin, qui m’ont crié leur peine avec des gémissements : elles le repoussèrent, et, par vengeance, il leur déroba l’Or-du-Rhin, l’Or qui lui parait, désormais, un trésor plus précieux, plus sublime que l’Amour. Sur leur jouet, volé aux profondeurs du gouffre, sur leur jouet splendide les Ondines pleurent, Wotan ! C’est toi qu’elles supplient de faire justice, pour leur restituer leur Or, à tout jamais. — J’ai promis d’appuyer leurs plaintes : Loge tient parole !

WOTAN

Tu délires, si tu n’es un traitre ! tu connais ma propre détresse[4], et tu veux que j’aille aider autrui ?

  1. L’Or, dans tous les vieux chants épiques des Scandinaves et des Germains, est constamment ainsi qualifié de « rouge. » Et des Gens se récrient : L’or est jaune ! – A vos Chimies, à vos Physiques, Gens de notre bel âge « de progrès ! » Ces poètes, dont les œuvres rudes survivront, encore que « barbares, » à toutes les actuelles erreurs de votre « science, » de votre « civilisation, » auraient-ils donc su avant vous, par leurs yeux et non par vos livres, que les couleurs que nous a connaissons » aux métaux se modifient quand la lumière a subi plusieurs réflexions à leur surface ? – Qui certes, ils n’eurent pas besoin d’un Bénédic Prévost pour intuitivement dire et chanter : « l’Or ROUGE ! »
  2. Le Thème de Walhall, ironiquement combiné avec le thème de Loge, (combinaison frappante d’où se dégage une idée d’Ordre, de Bonheur menacé ; on sait que Loge, le Feu, détruira le Monde) accompagne la précédente mélodie de Loge. Le thème de Servitude y est aussi donné nettement.
  3. C’est-à-dire : Alberich-de-la-Nuit. Etymologiquement : Roi-des-Alfes-de-la-Nuit. – Cf. p. 434, note.
  4. J’ai presque toujours, dans les quatre drames, donné au mot Noth, comme ici, sa signification la plus compréhensive : celle de « détresse ». Mais je tiens à dire, une fois pour toutes, qu’étymologiquement comme en composition, ce vocable implique une idée de contrainte ou de nécessité. Pour plus d’une raison, qu’on sentira bien lorsqu’apparaitra le mot « détresse », cette observation est utile. Qu’elle me soit l’occasion de redire à quel point Wagner, philologue, et philologue des plus remarquables, a, autant que possible, ramené tous les mots, employés par lui, à l’étymologique pureté de leur sens.