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FASOLT, qui a attentivement écouté, à FAFNER.

J’ai du dépit à voir l’Alfe posséder l’Or : ce Nibelung, déjà, nous fit bien du mal ; mais il a toujours eu l’adresse de se dérober à nos représailles.

FAFNER

Si l’Or lui donne de la puissance, c’est quelque nouveau mauvais tour que prépare contre nous sa haine. – Toi, là, Loge ! parle sans mentir : quelle si grande valeur a donc l’Or, qu’il tient lieu, au Nibelung, de tout ?

LOGE

L’Or, dans les profondeurs des eaux, n’est qu’un jouet, pour la joie des enfants rieuses : mais qu’on en forge un cercle, une bague, c’est la plus haude puissance qu’il donne, c’est l’univers livré à l’homme[1].

WOTAN

De l’Or-du-Rhin, j’ai ouï parler : son rouge éclat cacherait des Runes-de-Proie ; pouvoir, richesses, voilà, sans mesure, ce que procurerait certain Anneau[2].

  1. Dans le Trésor se trouvait une petite verge d’or, la baguette du souhait. Celui qui l’aurait su, aurait pu être le maître de tous les hommes, dans l’univers entier. (Nibelunge-nôt, XIX , trad. Laveleye, p. 169.)
  2. De même Gunther, dans le Crépuscule-des-Dieux, dit, lorsque Hagen le tâte et le tente : « Du Trésor des Nibelungen j’ai entendu parler : il contiendrait lui-même le plus enviable bien ? » Ces correspondances extérieures fortifient l’interne unité des quatre drames ; ne pouvant les signaler toutes, je signale ci l’une des plus frappantes ; le lecteur verra bien les autres. Étant donné le but poursuivi, consciemment, par Richard Wagner, – adapter au génie de sa race et appliquer, germanisées, les formules dramatiques de l’Art complet des Grecs, – il est intéressant d’emprunter dès maintenant, à l’excellent Manuel de Philologie classique, par Salomon Reinach (tome 1er, pp. 210 et 211), quelques trop peu nombreux extraits. Résumant un article substantiel de Weil, relatif à la symétrie dans les tragédies des anciens, il constate qu’« à des développements symétriques de l’idée, répondent des suites de vers d’une longueur égale » ; il cite des exemples, et observe : « La raison de cette symétrie… n’est autre que la tendance… à mettre d’accord la forme et le fond. » – « Si , » du reste , « de l’examen des tirades, on s’élève à celui des épisodes, des scènes et des actes, on reconnaitra partout la même tendance à la symétrie. La tragédie grecque est un tout organique qui se développe autour d’un centre, et dont les parties, formées d’unités symétriquement disposées, sont symétriques entre elles et par rapport à l’ensemble… » Au surplus, cette loi du parallélisme, comme toutes les lois de l’Art, est un idéal, et les poètes s’en rapprochent par instinct, plutôt qu’ils ne s’y asservissent par système.