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Page:Wagner - Lettres à Auguste Rœckel, 1894, trad. Kufferath.djvu/50

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c’est ce qui supprime la limitation (ou plutôt l’idée de limitation) ; mais le Réel ne s’accommode pas à l’idée de limitation, car le Réel, c’est-à-dire ce qui change, se renouvelle, se multiplie, — est la négation de ce que nous nous représentons comme borné : l’Infini de la métaphysique est l’éternel Inexistant. Le Fini est une représentation qui nous fait peur, mais seulement lorsque la réalité cesse d’être présente à notre sentiment; qu’au contraire, la vérité de l’amour nous saisisse tout entier, elle fera fuir cette idée terrifiante, parce qu’elle supprime le Fini en étouffant en nous la notion d’une limite. Le Réel, seul, est éternel ; or, il ne se révèle à nous dans toute sa plénitude que dans l’amour ; c’est donc l’amour qui est l’Eternel. — En somme, l’égoïsme ne cesse qu’au moment où le « Moi » se fond en un « Toi ». Ce « Moi » et ce « Toi », toutefois, ne se présentent pas dès que je me confonds dans l’ensemble du monde. Dans ce cas, « Moi » et le « Monde », c’est toujours moi et moi seul; le monde ne sera une Réalité pour moi que lorsque, pour mon sentiment, il sera devenu lui-même ce « Toi », ce qui n’arrivera qu’avec l’apparition de l’individu aimé (I). Cette apparition peut

(I) Tout ce passage, du plus haut intérêt, est à rapprocher du poème de Tristan, où Wagner, scène du deuxième acte entre Tristan et Iseult, reproduit des idées très voisines de celles qu’il expose ici.