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Page:Wagner - Lettres à Auguste Rœckel, 1894, trad. Kufferath.djvu/51

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se réitérer dans l’enfant, dans l’ami ; seulement, nous n’aimerons jamais entièrement l’enfant et l’ami que si nous avons déjà pu aimer, ce que l’homme, par exemple, ne peut apprendre que de la femme. Il est bien certain que l’affection pour l’enfant ou pour l’ami n’est qu’un pis-aller qui ne se révèle qu’à ceux qui ont été complètement heureux dans l’amour sexuel ; cette affection n’est après tout qu’une preuve de la variété de la nature humaine, qui peut aller jusqu’à nous offrir des anomalies de l’espèce la plus ridicule comme du caractère le plus tragique. Mais assez ! Je me risque à t’adresser cette confession dans ta solitude, sans craindre de provoquer ta tristesse en te communiquant mes pensées. Non seulement toi, mais moi aussi,— nous tous, — nous vivons en ce moment dans des circonstances et des relations qui ne sont que des succédanés, des pis-aller ; pour toi non moins que pour moi, la vie vraie, réelle, n’est qu’une représentation, un Désir. J’ai dû atteindre ma trente-sixième année avant de découvrir ce qui est le fond de mon besoin d’art : jusqu’à ce jour, l’art m’était apparu comme le but, la vie comme le moyen. Par malheur, cette découverte a été tardive ; seules, des épreuves tragiques ont pu répondre depuis à mes nouvelles impulsions vitales. Plus nous regardons au fond du monde actuel, plus nous devons nous con- vaincre que l’amour est aujourd’hui impossible ; un de mes amis a pu, par exemple, en s’adres-