Aller au contenu

Page:Wagner - Quatre Poèmes d’opéras, 1861.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— XLVI —


Il en est autrement du dernier que vous trouverez ici, Tristan et Iseult. Je le conçus et je l’achevai lorsque j’avais déjà complètement fait la musique d’une très-grande partie de ma tétralogie des Nibelungen. Ce qui m’amena à interrompre ce grand travail, ce fut le désir de donner un ouvrage de proportions plus modestes et de moindres exigences scéniques, plus facile par conséquent à exécuter et à représenter, et ce désir naquit en moi d’abord du besoin d’entendre encore, après un si long intervalle, de ma musique, puis des rapports encourageants que je recevais de l’exécution de mes anciens opéras en Allemagne, rapports qui me réconciliaient avec la scène et me rendaient l’espoir de voir ce désir encore une fois accompli. Maintenant on peut apprécier cet ouvrage d’après les lois les plus rigoureuses qui découlent de mes affirmations théoriques. Non pas qu’il ait été modelé sur mon système, car j’avais alors oublié absolument toute théorie ; ici, au contraire, je me mouvais avec la plus entière liberté, la plus complète indépendance de toute préoccupation théorique, et pendant la composition je sentais de combien mon essor dépassait même les limites de mon système. Croyez-moi, il n’y a pas de félicité supérieure à cette parfaite spontanéité de l’artiste dans la création, et je l’ai connue, cette spontanéité, en composant mon Tristan. Peut-être la devais-je à la force acquise dans la période de réflexion qui avait précédé. C’était à peu près une image de ce qu’avait fait mon maître en m’apprenant les artifices les plus difficiles du contre-point ; il m’avait fortifié, disait-il, non pour écrire des fugues, mais pour avoir ce qu’on n’acquiert