Page:Wagner - Quinze Lettres, 1894, trad. Staps.djvu/64

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nique. Sous ses doigts, le piano était devenu un orchestre. Tout à coup il s’arrêta et me dit : « Écoutez maintenant : les Muses entrent, elles amènent au milieu d’accents belliqueux une phalange de jeunes hommes ! » Et il murmura comme se parlant à lui-même :

« Joyeux comme circulent ses soleils — à travers l’admirable voûte des cieux, — poursuivez, frères, votre course — gaîment, comme un héros qui marche à la victoire ! »

Puis, il mit les mains sur le clavier. Depuis, j’ai souvent entendu la Neuvième Symphonie à grand orchestre, mais cet Allegro vivace alla marcia, je ne l’ai entendu qu’une fois ! Aucun directeur et aucun orchestre ne m’a fait saisir le pas léger, ferme et rythmé des Muses comme Wagner à mon piano, pianissimo, comme se mouvant sur les nuages, mais se rapprochant, se rapprochant sans cesse, d’un mouvement sûr. Comme elle se dégagea du monde merveilleux des sons, la grandiose révélation que seul le rythme fait apparaître, le rythme qui contient toutes ces masses. Une pulsation de plus ou de moins, et l’esprit de l’auditeur prend son essor ou reste inerte ! — Wagner avait l’air grave, recueilli et pourtant très doux. Une vieille dame de nos amies, bien mesurée et peu disposée à sortir de son calme, fut comme élec-