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Ta respiration onduleuse et sans fin.
Dans le sévère ennui de nos vanités brèves,
Fatidiques chanteurs au douloureux destin,
Vous épanchiez sur moi votre austère pensée ;
Et tu versais en moi, fils craintif et pieux,
Ta grande âme, ô Nature ! éternelle offensée !
Là-bas, bien loin d’ici, dans l’azur, près des cieux,
Vous bruissez toujours au revers des ravines,
Et par delà les flots, du fond des jours brûlants,
Vous m’emplissez encor de vos plaintes divines,
Filaos chevelus, bercés de souffles lents !
Et plus haut que les cris des villes périssables,
J’entends votre soupir immense et continu,
Pareil au bruit lointain de la mer sur les sables,
Qui passe sur ma tête et meurt dans l’inconnu !

(Les Lèvres closes.)


LA VISION D’ÈVE


À Leconte de Liste.


I


C’était trois ans après le péché dans l’Êden.
Adam sous les grands bois chassait, fier et superbe,
Luttant contre le tigre et poursuivant le daim.
Tranquille, il aspirait l’âcre senteur de l’herbe.

Eve, sereine aussi, corps vêtu de clartés,
Assise aux bords ombreux d’une vierge fontaine,
Regardait deux enfants s’ébattre à ses côtés,
Attentive aux échos de la chasse lointaine.

Adam sous la forêt parlait d’Eve aux oiseaux,
Et leur disait : (e Chantez ! Elle est belle et je l’aime ! »
Eve disait : « Répands, source, tes fraîches eaux !
Mon âme vibre en lui, mais en eux, ma chair même ! »

II


Ève pensait : « Seigneur ! vous nous avez chassés
Du paradis ; l’archange a fait luire son glaive.
Mordus parla douleur, et par la faim pressés,
Il nous faut haleter dès que le jour se lève.