— Nous allons nous séparer, mon fils !
Ces paroles tombèrent comme du plomb sur le cœur du jeune homme, qui répéta machinalement :
— Nous séparer, mon père !
— Oui, reprit Émeriau, Dieu et les hommes le veulent ainsi ; je dois l’élever pour eux, plus encore que pour moi. L’amour d’un père se compose de sacrifices : j’accomplirai celui-ci ; tu vas partir, mon ami ; tu vas connaitre le monde et ses plaisirs factices ; tu vas apprendre l’art difficile de t’y bien gouverner : c’est une autre manœuvre que celle de votre bateau ; mais Dieu te sera en aide et t’empêchera de te briser aux écueils. Tu verras les hommes, la société, tu apprendras les sciences : on dit que cela vaut une fortune, et que la fortune rend heureux. Je ne désire qu’une chose, mon garçon, c’est ton bonheur !…
Et comme Pierre essuyait une larme, son père ajouta :
— Il y a plus de quatorze ans que tu vis heureux avec nous ; notre bateau a vu tes premiers pas, a entendu tes premiers mots ; tous tes souvenirs sont ici ; ton cœur est pur et confiant, tu aimes Dieu et tes parents, le monde sera sans danger pour toi, tu n’y oublieras jamais le toit paternel ! Si Dieu t’appelle à être autre chose qu’un simple pêcheur, que sa volonté soit faite ! Mais si tu préférais notre humble pauvreté aux richesses que l’on va chercher dans les villes, reviens, oh ! reviens dans nos bras ! tes filets et ton fusil sont de vieux amis qui ne te feront jamais faute… J’ai eu de la peine à décider ta mère, mais ton oncle l’a emporté ; il lui a prouvé que nous étions coupables de te laisser dans l’ignorance. Et d’ailleurs, mon ami, ajouta le bon père en lui donnant une douce tape sur la joue, tu ne seras pas loin de nous ; ton oncle t’emmène aux Marais, et tu habiteras chez ce bon curé, qu’il alla consulter avec toi au sujet de ce