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APPLIQUÉE À L’HOMME.

le sauvage possède un cerveau, qui, s’il est cultivé, est capable de remplir des fonctions très-supérieures en espèce et en degré à celles qui sont exigées de lui.

Considérons ensuite le pouvoir que possède l’homme civilisé égal ou supérieur à la moyenne, de concevoir des idées abstraites et de suivre des raisonnements plus ou moins complexes ; nos langages sont remplis d’expressions abstraites ; nos affaires et nos plaisirs exigent la prévision continuelle d’un grand nombre de possibilités ; nos lois, notre gouvernement, notre science, nous obligent sans cesse à raisonner sur des séries compliquées de faits pour arriver au résultat cherché ; même nos jeux, les échecs, par exemple, nous forcent à exercer à un haut degré toutes nos facultés. Comparez avec cela l’homme sauvage, avec son langage qui ne possède aucun terme applicable aux conceptions abstraites ; avec son manque absolu de prévoyance pour tout ce qui dépasse les nécessités les plus élémentaires, son incapacité de comparer, de combiner, ou de raisonner sur les généralités qui ne tombent pas immédiatement sous ses sens. De même, le sauvage ne possède, dans ses facultés morales et esthétiques, aucun de ces sentiments de sympathie universelle, de ces conceptions de l’infini, du bien, du beau et du sublime, qui occupent une si grande place dans la vie de l’homme civilisé. Leur développement lui serait, au fond, inutile ou même nuisible, puisqu’elles amoindriraient en quelque degré la prépondérance des facultés animales et perceptives dont dépend souvent