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Page:Waller - Lysiane de Lysias, 1885.djvu/107

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A la Taverne Royale, il retrouvait presque toujours Carol, Chastel, Kéradec et, tout en buvant des « ballons », le quatuor dominait de ses éclats de voix, de ses exclamations bruyantes, les bruits multiples du café. Carol surtout, l’officier des chasseurs qui était connu par ses fumisteries énormes et ses nombreuses algarades, mettait dans le groupe sa grosse gaîté de soldat bon vivant. Il s’était attaché — on ne sut jamais comment — aux trois artistes, et souvent de son bon sens invulnérable il redressait les abracadabrants paradoxes d’atelier que débitaient les autres.

Les quatre — on ne les connaissait guère sous d’autres noms — se levaient au coup de huit heures et, qu’il y eût une première représentation à la Monnaie ou au Parc, un concert, une séance artistique quelconque, fût-ce à la Renaissance ou aux Nouveautés, unanimement ils décidaient d’y aller. Ils dirigeaient même les cabales, applaudissaient bruyamment avec de grandes exclamations d’enthousiasme, ou sifflaient à pleins poumons, malgré claque et public.

Kéradec et Chastel étaient les plus fougueux de la bande. Le premier, dont les tableaux, d’ailleurs, faits avec une étonnante furie de couleur et comme brossés avec un pinceau de bronze trempé dans du feu, disaient bien la nature violente, portait, sans se soucier de ce qu’on l’appelât M. Mille-HuitCent-Trente, les cheveux longs et la souquenille Baudelaire. Grand, légèrement courbé, les traits nerveux, il avait une allure de chouan révolté. Kéradec avait passé par toutes les phases de la vie d’artiste On se souvenait même de l’avoir entendu naguère, aux temps d’Académie, pérorer dans les