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Page:Waller - Lysiane de Lysias, 1885.djvu/109

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complète ce repas nocturne. Et les artistes — les quatre — aimaient ces scènes de mœurs si bien locales, le spectacle étrange de cette foule d’affamés aux mines souvent hâves et défaites, se ruant presque sur le garçon en tablier gris, qui, toujours impassible, flegmatiquement, pique les sardines, ouvre de nouvelles boîtes, reçoit l’argent, pendant des heures.

Le décor est d’ailleurs une fête de mangeailles. Les fersblancs plaqués de cuivre accrochent les rayons du gaz et les renvoyent sur les piles d’oranges ; des fromages énormes s’étagent en colonnes gris sombre, tandis que, à l’étalage, de gros saucissons habillés d’argent, des cervelas ventrus et luisants alternent avec des jambons gonflés et des langues charnues.

Des lignes de flacons de tomates et de sauces tracent aux murs des raies noires et rouges, et à la lumière c’est un festin de couleurs grasses auxquelles les misérables, le visage au dehors collé à la glace des vitrines, semblent, en les fixant d’un œil envieux, vouloir rassasier leurs énormes appétits.

— Qu’est-ce que c’est que ça pour des stoeffers ? disait parfois un gavroche en voyant entrer les quatre amis.

Et Carol, avec un accent marollien, bien veule et grasseyant, qu’il avait divinement attrapé, répondait en levant le coude :

— Smoel toe, sans ça je vaie le dire à mon père qui est garde-ville dans la rue des Renards !

C’étaient encore des rires sans fin et des joies, lorsque, gravement, Chastel pinçait de ses longs doigts de marquise un de ces harengs à la daube nommés roll-mops, et le déroulait en faisant des yeux drôles.