Page:Waller - Lysiane de Lysias, 1885.djvu/47

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riposte, et son mari dont la maturité intellectuelle l’avait toujours intimidée, Christine évita longtemps de se livrer. Elle sentit qu’un mot maladroit devrait blesser — pour longtemps peut-être — celui qui l’avait choisie, et sans timidité comme sans vasselage, elle écouta plus qu’elle ne dit. Sa lune de miel fut donc passée en véritable observation des autres. Elle ne fut qu’un stage d’avenir au bout duquel la femme de Grégory voulait conquérir par elle-même celui qu’elle ne possédait que par le mariage. Ce que le respect, l’admiration même avaient fait, la jalousie et enfin la passion raisonnée, surchauffée le complétèrent. La jalousie, oui. Lorsque, encore affaiblie, elle s’était de longues heures reposée au soleil du parc, étendue sur une chaise longue, elle n’avait plus abandonné son âme à l’incessante tristesse, mais l’avait dirigée, clairvoyante et subtile vers son mari. Sensible par les sens, percevant exagérément, avec une hypéresthésie maladive, les moindres chocs extérieurs, la duchesse devait avoir la même sensibilité par l’esprit. Tout lui revint : l’indifférence froide de Grégory au début de leur union, ses amertumes soudaines exprimées par un rien de physionomie ou de parole, des bouts de conversation surpris entre le duc et Jacques d’Astor, un mystère enfin qu’elle sentait, effrayant comme un abîme, et que sa perspicacité inquiète devait découvrir pour arracher à sa vie le bonheur qu’elle voulait impérieusement comme la compensation de ses déchirements. Elle n’interrogea pas, se refusant d’accepter une confidence, mais sans rien dire, lentement, sûrement, elle dirigea son instruction comme un juge agit dans le secret pour ne pas effaroucher les coupables.