Aller au contenu

Page:Waller - Lysiane de Lysias, 1885.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

assez de cette vie roulée à tous les vents et salie à toutes les fanges. Ici, depuis six ans, rien n’a changé dans mon existence ; c’est un train-train, une vivote, une suite d’habitudes inévitables, toujours pareilles. Pas d’horizon, pas d’au delà ; sans cesse les rencontres agaçantes de visages trop connus ; l’après-midi la flâne, et le soir… ah ! le soir ! Dieu sait quoi… tenez ! ce que nous faisons ici, dans cette fumée, horripilés par cette musique de bastringue, frôlés par ces femmes dont les sourires se figent et dont les regards se moquent. Je me sens avili, dégradé, là-dedans ; il me semble que je rougirais d’y être vu par certaines gens que je respecte, que j’aurais le devoir de me dérober à ces soirées vides dont je me retire plus dégoûté, plus vieilli, plus amoindri vis-à-vis de moimême et de vous tous. J’éprouve un immense désir de me purifier, de me nettoyer demain d’une partie de mon passé, de mettre entre lui et moi une fosse de raison, de tranquillité, d’amour… Vous me trouvez stupide, gaga, n’est-ce pas ? j’ai l’air de crier à l’immoralité du siècle, à la fange humaine, vous riez, je vous la fais à la Caton, je pose à l’homme grave, au désillusionné, au blasé. Vous croyez que je blague, et c’est vous, oui, c’est vous qui blaguez avec vos joies factices, vos. hilarités subites, vos bravades, et il n’y en a pas un de vous, pas un qui ne pense comme moi, qui n’éprouve les mêmes dégoûts et les mêmes fatigues.

— Qui sait ? fit Chastel.

— Prends garde, on pourrait te croire sincère…

— Oh ! je ne me rallie pas, reprit Chastel avec un mouvement de révolte brusque, mon orgueil à moi est au dessus de