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Page:Waller - Lysiane de Lysias, 1885.djvu/96

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ce que je puis souffrir en moi-même ; j’ai le droit de ne pas montrer ma peine, si j’en ai ; j’estime que le faire, c’est demander l’aumône d’une pitié, et j’aime mieux crever de mes larmes que de les avouer…

— Bravo, Ghastel, dit Beckx, c’est plus homme !…

— Mais moins humain, interrompit Jacques, d’ailleurs, Chastel, tu as plus de cœur que tu ne veux bien…

— Pour moi, peut-être, c’est mon affaire.

— Tu as raison, mon brave, et j’avais tort, pardon.

La toile se leva et les causeurs ayant payé le garçon allèrent s’accouder au balcon.

Tandis que les niggers dansaient au son du ben-joe, faisant claquer avec un bruit de lattes, leurs longues savates à pointes, les promenoirs s’étaient remplis ; sous le velum, autour des bassins, près des buvettes, s’attablaient des groupes parlant haut, jetant parfois des appels burlesques aux femmes qui passaient près d’eux ; les globes lumineux des lampes électriques jetaient sur la foule une teinte blafarde de clair de lune mêlée à la clarté jaune des gaz. Le gravier s’écrasait sous les pas des garçons qui, de table en table, apportaient des bocks, au milieu d’un tumulte de voix et de cris.

Les Roumaines venaient d’entrer, deux grandes femmes à la démarche balancée et hautaine, récemment arrivées à Bruxelles. L’une, noire, Dora, rappelait certaines héroïnes de Véronèse, avec sa peau très blanche pointée à l’aile du nez d’un grain de beauté ; l’autre, Fiammine, une blonde d’un blond d’or, qui, le nez un peu relevé, les yeux très enfoncés, les traits durs, faisait songer aux vicieuses de Félicien Rops ;