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Page:Waller - Lysiane de Lysias, 1885.djvu/97

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toutes deux grandes et rythmiques, toujours ensemble, ayant le même sourire glacé, dédaigneux presque. De l’Eden, où tous les soirs elles arrivaient à 9 heures précises, elles descendaient chez Marugg, et rentraient ensuite vers minuit, souvent seules, gardant leur allure d’impératrices byzantines qui marcheraient sur un tapis de croupes d’esclaves.

Ferrian se retourna brusquement lorsque les Roumaines franchirent la dernière marche de l’escalier de marbre et entrèrent dans le jardin d’hiver. Dora, la noire, lui adressa un sourire imperceptible.

— Tenez, dit-il soudain en s’adressant de nouveau à Chastel, voilà les seules femmes que j’aie un peu aimées, un peu, non ! follement, pendant tout un temps, hanté par elles, et vous qui êtes artistes, toi Chastel, toi Marius, vous me comprenez n’est-ce pas ? ces deux marbres que j’ai possédés, ils m’ont révélé la beauté, la vibrante beauté ; c’est la Vénus immortelle, celle de Baudelaire, superbe, dont le corps est musical, dont la ligne est impeccable, dont chaque geste est grand, harmonique. Eh bien, voyez-vous, il n’y a que deux amours possibles pour nous artistes : celui-ci qui remplit nos yeux mais qui nous fait mal, et l’autre, le bon, le vrai, le durable qui remplit nos âmes et nous fait vivre ! J’ai eu le premier, je veux l’autre. Voilà !

— Tu as bien tort, va ! dit Chastel.Ton repos tu ne le trouveras pas, ou si tu le trouves, tu en auras plein le dos ! le repos, mon pauvre ami, mais c’est le cercueil, le bois de sapin, la concession à perpétuité !

— Pas de concessions ! cria Carol qui n’écoutait plus.