Page:Walras - Introduction à l'étude de la question sociale.djvu/9

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cuper non des faits moraux qui ne se rapportent qu’à l’individu, mais de ceux qui intéressent tous les individus à la fois, je veux dire des faits sociaux.

La science sociale est, en un mot, LA THÉORIE DE LA SOCIÉTÉ. J’abandonne à M. Courcelle Seneuil le mérite de l’avoir signalée. Quant à moi, je m’empresse, pour les besoins de ma cause, d’en préciser l’objet, d’en indiquer les divisions, d’en esquisser, si l’on veut, la philosophie en termes un peu plus explicites que M. Courcelle Seneuil n’a tenté de le faire. Et comme, en de pareilles entreprises, il importe avant tout d’agir méthodiquement, je commence par énoncer que, selon moi, pour constituer la science sociale et l’art social, il convient de s’attaquer directement au fait général de la société, d’en définir la nature, d’en montrer l’origine, d’en énumérer les espèces, d’en formuler la loi, d’en constater les effets. Je pense en effet que, le fait de la société étant de la sorte étudié scientifiquement dans sa généralité abstraite, tous les faits sociaux, individuels et concrets seraient connus par cela même ; c’est-à-dire qu’un phénomène social se produisant dans la réalité pourrait être immédiatement distingué, rattaché à une cause également individuelle et concrète, rapporté à un type spécial, soumis à des lois déterminées, etc., etc.

I. En conséquence, disons d’abord que le fait de la société consiste en ceci que les destinées individuelles de tous les hommes ne sont point indépendantes, mais solidaires les unes des autres. Ce n’est point à dire, ainsi que le soutient le communisme absolu, que chaque homme n’ait d’autre destinée que celle d’organe d’un tout réel, individuel et concret, nommé société. Non : les destinées humaines ne sont point aussi complètement solidaires. Mais il est certain qu’elles ne sont pas non plus complètement indépendantes, que chacune d’elles n’est point à l’instar d’une sorte de monade isolée, ainsi que l’énoncerait l’absolu individualisme. « Quoi qu’il en soit, la politique oscille encore aujourd’hui entre l’individualisme et le communisme, exactement comme la philosophie entre l’empirisme et l’idéalisme, faisant tour à tour la part trop large ou trop étroite à l’un des deux principes dont l’équilibre fait la loi de toute société bien organisée[1]. » C’est donc précisément

  1. ÉT. VACHEROT, La Métaphysique et la Science, t. II, p. 679.