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du Vaisseau : et comme ils se trouvoient sur une Côte déserte, où ils ne pouvoient guère s’attendre à d’autres vivres qu’à ceux qu’ils pourroient tirer de leur Vaisseau échoué, cette infortune augmenta encore la discorde parmi eux. Car le travail nécessaire pour sauver ces vivres, l’ordre dans leur distribution, et le soin pour les garder et les conserver manquant également, faute de subordination, la faim d’un côté, les vols et les cachoteries de l’autre, mirent tant d’aigreur et d’animosité entre ces gens, qu’il n’y eut plus aucun moyen de leur faire entendre raison.

A tous ces sujets de division, il s’en joignit un autre sur un point des plus importans dans l’état où ils se trouvoient : il s’agissoit des mesures qu’ils dévoient prendre pour en sortir. Le Capitaine étoit résolu à accommoder les Chaloupes du mieux qu’il seroit possible et à tirer vers le Nord. Il avoit encore une centaine d’hommes en état de servir ; il avoit sauvé du Vaisseau, quelques armes à feu et quelques munitions, et il ne doutoit pas qu’il ne pût se rendre maitre de tout Vaisseau Espagnol tel qu’on les trouve dans ces Mers. Il étoit très probable qu’ils en rencontreroient quelqu’un aux environs de Chiloé ou de Baldivia, et qu’après l’avoir pris, il leur serviroit à se transporter au rendez-vous de Juan Fernandez ; et quand cette ressource leur eût manqué, leurs Chaloupes pouvoient à la rigueur leur suffire pour cette traversée. Mais ce projet, quelque sage qu’il fût, ne plut nullement au plus grand nombre. Ils étoient rebutés par les souffrances et les dangers qu’ils avoient essuyés, et incapables de soutenir plus longtems l’idée d’une entreprise, traversée déja par tant de malheurs desorte que la pluralité des voix alla à allonger la double Chaloupe, et à s’en servir aussi bien que des autres Chaloupes pour tirer vers le Sud, passer le Détroit de Magellan, ranger la Côte Orientale de l’Amérique Méridionale jusqu’au Brézil, où ils ne doutoient pas d’être bien reçus, et de trouver moyen de regagner l’Angleterre. Ce voyage ne pouvoit manquer d’être plus hazardeux et de plus longue haleine, que celui que proposoit le Capitaine ; mais il leur offroit l’idée flatteuse du retour, et l’espérance de revoir leur Patrie ; et cela seul suffisoit pour les attacher opiniâtrement à ce projet. Le Capitaine n’eut donc d’autre ressource que de céder au torrent, et de feindre de se conformer à leur résolution, en gardant par devers soi le dessein d’y apporter tous les obstacles secrets qu’il pourroit : en particulier il tâcha de diriger l’ouvrage qu’on faisoit pour allonger la double Chaloupe, desorte que ce bâtiment, quoique propre à la traversée jusqu’à l’Ile de Juan Fernandez, ne le parut pas pour une Navigation aussi longue que celle qu’il leur falloit faire pour gagner le BréziL.