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les, on ne pouvoit douter qu’ils ne préféroient la chair de Chinois, gros et gras et bien nourris, à celle de leurs Camarades exténués. Le prémier Mandarin convint de la justesse de tous ces raisonnemens, et il répondit à Mr. Anson, qu’il alloit partir dès ce soir pour Canton ; qu’à son arrivée on tiendroit un Conseil, dont il étoit membre, et que la Commission, dont on l’avoit chargé, l’obligeoit à se regarder comme l’Avocat du Commandeur ; que, comme il voyoit de ses yeux nos besoins pressans, il ne doutoit pas que sur ses représentations, le Conseil ne nous accordât sur le champ nos demandes. A l’égard des plaintes que Mr. Anson avoit faites, de la conduite des Douaniers de Macao, le Mandarin y mit ordre d’abord de son autorité particulière : il demanda une liste de la quantité de provisions, dont nous avions besoin journellement ; écrivit au bas la permission nécessaire, et commit un homme de sa Suite avec ordre de nous faire fournir tous les matins le contenu de cette liste : et cela fut dans la suite ponctuellement exécuté.

Après cela, le Commandeur invita à diner le grand Mandarin et ses deux Assesseurs, en leur disant, que s’il ne leur faisoit pas aussi bonne chère qu’il le voudroit, ils ne devoient s’en prendre qu’à eux-mêmes et à la sobriété forcée, où ils nous avoient réduits. Un des Plats qu’on servit, c’étoit du Bœuf, dont les Chinois ne mangent point, répugnance que Mr. Anson ignoroit, et qui vient sans doute des superstitions Indiennes, qui se sont introduites dans la Chine, depuis bien des siècles. Il ne faut pourtant pas croire que nos trois Mandarins jeunèrent à ce repas puisqu’ils vinrent à bout du blanc de quatre grosses Volailles qu’on y servit. Mais ils étoient très embarassés de leurs Couteaux et de leurs Fourchettes, dont ils essayèrent envain de faire usage d’un air fort gauche : il fallut y renoncer, et quelqu’un de leur suite leur coupa leurs viandes en petits morceaux à leur manière. A la vérité, ils se montrèrent beaucoup moins novices dans l’art de boire, que dans celui de manger à l’Européenne. Le Commandeur, sous prétexte d’incommodité, s’excusa de leur faire à cet égard les honneurs de sa Table ; mais le Mandarin remarqua un de nos jeunes Officiers à teint frais et vif ; il lui frappa sur l’épaule, et lui dit, par le moyen de l’Interprète, qu’il ne pouvoit alléguer les mêmes excuses que le Commandeur, et qu’il l’invitoit à lui tenir compagnie à boire. Ce Gentilhomme voyant que le Mandarin avoit déjà aidé à expédier quatre ou cinq bouteilles de vin de Frontignan, sans qu’il y parût, fit apporter une bouteille d’eau des Barbades, à laquelle le Magistrat