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dans les Forts, y étoit prisonnier ; qu’il étoit démis de son emploi ; et qu’on le menoit à Canton, où il seroit sévèrement puni, pour avoir laissé passer les deux Vaisseaux Anglois, Mr. Anson trouva la chose très déraisonnable et représenta aux Chinois, la grande supériorité de ses Vaisseaux sur les Forts, par le nombre et la force de l’Artillerie. Les Chinois tombèrent d’accord de tout cela, et convinrent qu’il avoit été impossible au Mandarin d’empêcher nos Gens de passer ; mais ils persistèrent à soutenir qu’il seroit sévèrement châtié, pour n’avoir pas fait ce qu’ils avouoient être impossible. Ce sont-là des absurdités, auxquelles doivent se résoudre ceux qui se croyent obligés de maintenir leur autorité, dans les cas même, où la force leur manque. Mais revenons à notre sujet.

Le 16 de Juillet, le Commandeur envoya son second Lieutenant à Canton, avec une Lettre pour le Viceroi, où il l’informoit des raisons, qui avoient obligé le Centurion à relâcher en cet endroit ; et pour l’avertir que le Commandeur avoit dessein d’aller lui-même, dans peu, à Canton, pour rendre ses devoirs au Viceroi. Le Lieutenant fut fort poliment reçu, et on lui promit d’envoyer le lendemain réponse au Commandeur. En même tems Mr. Anson permit à plusieurs des Officiers du Galion d’aller à Canton sur leur parole, à condition d’en revenir deux jours après. Lorsqu’ils furent dans cette Ville les Mandarins les firent appeller, pour s’informer de la manière, dont ils avoient été pris par Mr. Anson. Ces Prisonniers eurent la candeur de déclarer, que comme les Rois de la Grande-Bretagne et d’Espagne étoient en guerre ouverte, ils avoient résolu de prendre le Centurion, & qu’ils l’avoient attaqué dans cette vue, mais que l’événement avoit été contraire à leurs espérances : Ils ajoutèrent que depuis leur prise, ils avoient reçu du Commandeur, un traitement beaucoup plus doux, que n’en auroient essuié de leur part les Anglois, s’ils étoient tombés entre leurs mains. Cet aveu, sorti de la bouche d’un Ennemi, fit beaucoup d’impression sur l’esprit des Chinois, qui jusqu’à ce moment-là, avoient eu plus de crainte du pouvoir de Mr. Anson, que de confiance en son caractère moral. Ils l’avoient soupçonné d’être plutôt un Pyrate, qu’un Officier employé par son Souverain dans une guerre légitime. Dès-lors, ils commencèrent à le considérer d’un tout autre œil, et à lui porter beaucoup de respect, à quoi peut-être ne contribuèrent pas peu les grands Trésors, dont il étoit en possession : car la Nation Chinoise est distinguée par sa profonde vénération pour les Richesses et les Gens riches.