Page:Walter - Voyage autour du monde fait dans les années 1740, 1, 2, 3, 4, 1749.djvu/55

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nus ensemble des mesures qu’il y avoit à prendre, il se pourvurent de couteaux flamands ; ce qui fut très facile, de pareils couteaux étant ceux dont on se sert à bord : outre cela ils employèrent secrètement le tems qu’ils avoient de reste, à couper des bandes de cuir, le Vaisseau étant chargé d’une grande quantité de peaux, et attachèrent à chacune de ces bandes un boulet ramé des petites pièces du demi-pont. Cette espèce d’arme que les Indiens de Buenos Ayres apprennent à manier dès leur enfance, et qu’ils tournent autour de leur tête avec beaucoup de vitesse et de force, est tout-à-fait dangereuse. Tout étant ainsi préparé, l’exécution de leur dessein fut probablement hâtée par un nouvel outrage, dont Orellana fut l’objet. Car un des Officiers, qui étoit la brutalité même ayant commandé à Orellana de grimper jusqu’au haut du mât, ce qui ne lui étoit pas possible, il le maltraita tellement, sous prétexte de punir sa desobéissance, que le misérable Indien resta quelque tems sans mouvement, et tout ensanglanté, sur le tillac. Un traitement pareil le confirma sans doute dans sa résolution, et ne lui laissa aucun repos qu’il ne l’eût exécutée. Voici comment Orellana et ses Compagnons s’y prirent pour cet effet peu de jours après.

Vers les neuf heures du soir, la plupart des principaux Officiers se trouvoient sur le demi-pont, pour jouir de la fraîcheur de la soirée ; le corps du Navire étoit rempli de bétail, et le château de proue garni de monde comme à l’ordinaire. Orellana et ses Compagnons, ayant profité de l’obscurité de la nuit pour préparer leurs armes, et s’étant débarrassés des habits qui auroient pu les empêcher d’agir avec facilité, vinrent tous sur le demi-pont, et s’avancèrent vers la porte de la grande chambre. Le Contre-Maître se mit aussi-tôt à les gronder, et leur ordonna de se retirer. Orellana dit alors en sa langue maternelle quelques mots à ses gens, dont quatre se détachèrent et allèrent occuper les Couroirs, deux de chaque côté, pendant que le Chef et les six autres sembloient quitter à pas lents le demi-pont. Quand les quatre Indiens, qui s’étoient séparés de leurs Compagnons, se furent postés dans les Couroirs, Orellana approcha de sa bouche le creux de ses mains, et jetta le cri de guerre en usage parmi ses Compatriotes. Ce cri est, dit-on, le plus effroyable qu’on puisse entendre, et servit de signal au massacre. Tous mirent le couteau à la main, et firent usage en même tems de leurs courroyes garnies de boulets ramés. Les six Indiens, qui étoient demeurés avec leur Chef sur le demi-pont, jettèrent en un instant sur le carreau quarante Espagnols,