Page:Webb - Sept pour un secret, 1933.djvu/120

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Ceci prouve que le thé pris à l’embranchement monte fortement à la tête, que les jeunes gens qui habitent la lande sont parfois tout aussi fous que ceux des villes quand ils sont amoureux, que Robert n’était pas aussi froid et aussi primitif qu’il le laissait supposer et qu’il avait grand besoin de leçons pour apprendre l’art de la poésie.

Là-bas, à Silverton, la première voiture de laitier descendit la côte avec fracas, et Gillian se réveillant reprit contact avec la vie en entendant un carillon sonner six heures. Aux Gwlfas Robert aussi reprenait conscience des réalités. Il était temps de donner à manger et à boire aux chevaux ; aussi mit-il de côté son portrait en Romain, son ruban et le souvenir de sa passion, et, descendant sur la pointe des pieds, il sortit dans le monde froid et terre à terre d’un matin de janvier. En faisant une ronde avec sa lanterne il souriait ironiquement de sa folie, sachant bien qu’il était trop fier pour jamais avouer son secret à Gillian. Il n’écrirait même pas ses poèmes, de crainte que quelqu’un ne les vît. Il ne les ferait entendre à personne avant d’être aussi vieux qu’Isaïe, d’avoir la barbe blanche et le pouls glacé, avant de les avoir amenés à la perfection grâce à des dizaines d’années d’un travail plein d’amour.

« Elle doit jeter en ce moment un coup d’œil par la fente des volets, pensait-il. Elle serait rudement furieuse si elle se doutait de l’existence de Johnson. »

Il riait en trayant les vaches et, se souvenant qu’elles étaient — ou seraient un jour — à Gillian, et que celle-ci ne resterait pas toujours à Silverton, il alla même jusqu’à fredonner un petit air accompagné par le bruit du lait tombant dans le seau, comme une abeille heureuse au bourdonnement de basse profonde.