Après le regard qu’elle lui avait lancé sur le seuil, Robert ne pensait pas qu’elle serait très difficile à conquérir, une fois Ralph perdu dans son esprit pour son crime. Sûrement il pourrait se faire aimer d’elle… il lui prouverait sa passion aussi bien que son amour et, au bout de quelque temps de solitude, elle se donnerait à lui.
Mais si Ralph était sauvé, alors elle resterait avec lui, puisqu’elle l’aimait. Ne le lui avait-elle pas dit ? Voilà le malheur : elle aimait Ralph. Pour assurer le bonheur de Gillian, il fallait sauver Ralph, mais comment ? On découvrirait le cadavre dès que viendrait le dégel… il était impossible qu’il ne fût pas trouvé. Et, comprenant cela, se rendant compte de ce qu’il devrait faire s’il voulait prouver son amour à Gillian, il cria dans le silence qui l’enveloppait :
— Ah, Dieu, je ne peux pas faire cela !
Ah non, il ne pouvait pas, il ne pouvait mourir. Il avait tant à accomplir, tant à voir, tant de poèmes à composer ! Il avait devant lui toutes les jouissances de la vie, l’amour d’une femme, la joie triomphante de l’époux, les longues et douces journées et nuits d’amour, la paternité. Entendre le rire de garçons dans le verger… ses garçons, qui auraient le sourire de Gillian ; voir ses filles assises sur de petits tabourets devant le feu, en hiver, tricotant sérieusement, avec le même froncement de sourcil que Gillian… Voir Gillian avec un bébé, tout mignon, sans défense, et au charme inexprimable, auquel elle donnerait le sein !
À ces images, éon jeune cœur défaillait presque dans sa poitrine. La Bohémienne avait dit — car Jonathan l’avait répété à Robert — qu’elle entendait le balancement d’un berceau, mais pas dans la maison de Ralph. Dans celle de qui, alors ? Dans la sienne ? Dans celle de Robert Rideout ? On le balancerait sur le sol inégal