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Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/103

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C’est ce qui s’est produit en Europe. Les nations ont eu ce mouvement d’horreur tour à tour, à mesure que le malheur les prenait.

La seconde méthode est l’idolâtrie. C’est une méthode religieuse, si l’on prend le mot religion au sens où le prenaient les sociologues français, l’adoration de la réalité sociale sous des noms de divinité divers. C’est ce que Platon comparait au culte d’un gros animal.

Cette méthode consiste à délimiter une région sociale à l’intérieur de laquelle le couple de contraires bien et mal n’a pas le droit d’entrer. En tant que partie de cette région, l’homme n’est plus soumis à ce couple.

L’usage de cette méthode est fréquent. Un savant, un artiste, croient souvent être en tant que tels dégagés de toute obligation, ayant fait de la science, de l’art, un espace clos où la vertu et le vice ne pénètrent pas. De même aussi quelquefois un soldat, un prêtre ; ainsi s’expliquent les sacs de villes et l’Inquisition. D’une manière générale, cet art de la compartimentation a fait commettre au cours des siècles beaucoup de monstruosités par des hommes qui ne paraissaient pas des monstres.

Mais la méthode est défectueuse quand elle est partielle. Un savant n’est pas délivré du couple bien et mal en tant que père, époux, citoyen. Pour que la délivrance soit totale, la zone d’où l’opposition du bien et du mal est exclue doit être telle qu’un homme puisse y pénétrer tout entier.

Une nation peut jouer ce rôle. Ce fut le cas dans l’antiquité pour Rome et pour Israël. Dès lors qu’un Romain avait cessé d’exister à ses propres yeux en toute autre qualité qu’en qualité de Romain, il était affranchi du bien et du mal. Il n’était régi que par la loi purement animale de l’expansion. Il n’avait à songer qu’à dominer les peuples en maître absolu, épargnant plus ou moins ceux qui obéissaient, écrasant