Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/113

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cause de la corruption des chefs et de l’état de trahison où se trouvait le gouvernement. Au début, des gens honnêtes, courageux et jeunes ont pris part à l’entreprise (et surtout aux mouvements de jeunesse) dans la pensée de reconstruire la France. Si le pays avait été autrement disposé, le mouvement aurait pu prendre réellement, secouer les masses, balayer le gouvernement même dont il était issu, et orienter la nation dans un sens vraiment français. Mais l’esprit de réforme n’était pas compatible avec cet état de rêve, d’irréalité, d’attente passive où se trouvait l’ensemble du pays.

Si le pays se trouve encore dans cet état au moment de la victoire, et reçoit la délivrance du dehors, les plans de réforme les plus beaux et même les plus pratiques risquent de demeurer lettre morte, faute d’esprit qui leur insuffle de la vie. Car la vie ne peut leur venir que du peuple français.

Un plan n’est pas praticable ou irréalisable par lui-même. Un même dessin d’architecte peut être excellent si l’on a du ciment armé et absurde si l’on construit avec du bois. Un plan est praticable s’il répond à quelque chose de latent dans un peuple, et s’il contient d’abord les procédés propres à faire jaillir ce quelque chose.

Avant juin 1940, il manquait surtout aux Français une certaine manière de penser. Maintenant il leur manque surtout des moyens matériels. La France maintenant est près d’être prise par l’esprit de guerre ; mais l’ennemi l’a désarmée.

Or en fait il se trouve en France, et plus généralement dans les pays occupés, une source d’énergie qui, si elle était militairement exploitée sur une vaste échelle, aurait du point de vue militaire plus d’importance peut-être encore que le pétrole.

Cette source d’énergie n’est autre que l’horreur des hommes contre l’oppression.