Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/120

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les Allemands partis apparaîtront les problèmes les plus tragiques. La France est dans l’état d’un malade qu’un brigand a surpris en pleine crise et garrotté ; une fois les cordes coupées, il reste à s’occuper de la maladie. Mais cette comparaison est défectueuse, car ici le traitement est à commencer même avant la libération, et la manière dont la libération s’opérera déterminera par elle-même soit une aggravation du mal, soit un commencement de guérison.

Si la France, actuellement asservie par les armes allemandes, est libérée soit par l’argent américain, soit par les soldats russes, il est à craindre qu’elle demeure dans une servitude moins visible, mais presque aussi dégradante, sous forme soit de semi-vassalité économique à l’égard de l’Amérique, soit de communisme. D’un autre côté la somme d’amertume, de haine, de révolte accumulée est telle que des luttes civiles atroces et inutiles sont presque inévitables si elle ne s’est pas efficacement dépensée dans une action de guerre.

Autant il est désirable que les cas éclatants de trahison reçoivent un châtiment solennel, autant il faut souhaiter que les défaillances des hommes de second plan et au-dessous, survenues après la défaite, soient oubliées. Autrement la France vivrait des années dans une atmosphère atroce, dégradante, de haine et de peur. Le seul moyen d’éviter cela, c’est une grande action qui, dès avant la délivrance, entraîne le pays, permette à ceux qui n’ont pas été irrémédiablement compromis de se réconcilier avec le pays et avec eux-mêmes, efface la lâcheté passée sous un renouveau de courage et de fraternité d’armes.

Devant le double et terrible danger d’asservissement semi-colonial et de guerre civile, la France aura un besoin urgent de chefs dès l’instant où le territoire sera libéré. Or il n’y en a pas. Tous ceux qui ont joué un rôle important en France, qui se sont fait un nom,