Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/122

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s’établir entre la France et les Français d’Angleterre, il y aurait osmose. Cela produirait de part et d’autre un effet d’aération qui, littéralement, insufflerait de la vie.

Du même coup, un système de protection pourrait être établi en faveur de ceux des nôtres qui, en France, sont trop compromis. La fuite pourrait être sérieusement organisée, permettant à ceux qui ne peuvent plus agir utilement devant la Gestapo d’aller hors de France se transformer en soldats. De ce fait, l’organisation de la révolte esquissée ici ne serait peut-être pas plus coûteuse en vies françaises que l’état de choses actuel. Les Français ne périraient peut-être pas en plus grand nombre, et ceux qui tomberaient prépareraient par leur mort la délivrance du pays, non pas seulement moralement, mais à la fois moralement et matériellement. À l’égard de nos alliés, nos sacrifices leur vaudraient une économie de vies humaines, de matériel et de temps, et par suite leur feraient contracter une dette incontestable à notre égard.

D’autre part, toute opération analogue à l’affaire Darlan deviendrait impossible. Car comme la révolte française, tant que l’ennemi est là, est automatiquement aux mains des plus courageux et des plus fervents, soit en France, soit à Londres, si elle devient un rouage essentiel de la stratégie, il devient militairement impossible aux alliés de traiter avec la partie pourrie ou à moitié pourrie du pays. Une impossibilité militaire est un obstacle beaucoup plus sûr qu’une impossibilité morale. Il n’y a pas de plus sûr moyen de faire triompher en fait l’honneur et la vertu que d’en faire concrètement des facteurs stratégiques.

Cette impossibilité se prolongerait même après la victoire, parce que dans l’action commune la France aurait au moins commencé à retrouver une vie, une âme, une unité. Les divisions, dont le poison est la seule chose qui subsiste de la vie politique passée — car