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même les haines de 1934, de 1936 subsistent encore dans une large mesure — seraient éliminées par un retour de santé morale, et il n’y aurait plus de terrain favorable pour les petites manœuvres politiques.

Il y a là d’ailleurs un problème dont la portée dépasse de loin même celui du destin de la France. En Russie, le totalitarisme allemand s’est heurté à un totalitarisme qui non seulement lui ressemble beaucoup, mais lui a réellement servi de modèle. Du côté américain, l’Allemagne se heurte au pouvoir de l’argent ; et la population américaine place son espoir sur ce pouvoir, comme beaucoup de Français au temps où les murs étaient couverts du slogan : « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts », avec des commentaires qui montraient que « forts » voulait dire « riches ».

La résistance anglaise a été d’une autre qualité. Mais l’héroïsme anglais pendant l’été 1940 a été négatif, il a consisté à ne pas céder et non pas à remporter des victoires ; il n’était pas spectaculaire, et c’est pourquoi maintenant le souvenir en est presque effacé de la sensibilité des peuples.

Dans l’aventure des dernières années, l’Europe a perdu non seulement la liberté, mais aussi l’honneur et la foi. Croit-on qu’elle les retrouvera si les armes de la tyrannie sont maîtrisées seulement par la coalition des pouvoirs d’argent avec une seconde tyrannie ? En ce cas, la France et l’Europe seront délivrées, mais resteront prostrées. Un tel avenir n’est désirable que pour les spéculateurs et les plus cyniques des communistes. Les vrais conservateurs, les vrais réformateurs ont également intérêt à ce qu’il en soit autrement. Car dans un cadavre il n’y a rien à conserver, ni aucune matière à réforme.

Il s’agit en somme de savoir si dans cette guerre le fanatisme et l’argent auront été les seuls éléments agissants, ou si l’honneur, la foi, la spiritualité chré-