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Ce n’est ni sa personne ni la personne humaine en lui qui m’est sacrée. C’est lui. Lui tout entier. Les bras, les yeux, les pensées, tout. Je ne porterais atteinte à rien de tout cela sans des scrupules infinis.

Si la personne humaine était en lui ce qu’il y a de sacré pour moi, je pourrais facilement lui crever les yeux. Une fois aveugle, il sera une personne humaine exactement autant qu’avant. Je n’aurai pas du tout touché à la personne humaine en lui. Je n’aurai détruit que ses yeux.

Il est impossible de définir le respect de la personne humaine. Ce n’est pas seulement impossible à définir en paroles. Beaucoup de notions lumineuses sont dans ce cas. Mais cette notion-là ne peut pas non plus être conçue ; elle ne peut pas être définie, délimitée par une opération muette de la pensée.

Prendre pour règle de la morale publique une notion impossible à définir et à concevoir, c’est donner passage à toute espèce de tyrannie.

La notion de droit, lancée à travers le monde en 1789, a été, par son insuffisance interne, impuissante à exercer la fonction qu’on lui confiait.

Amalgamer deux notions insuffisantes en parlant des droits de la personne humaine ne nous mènera pas plus loin.

Qu’est-ce qui m’empêche au juste de crever les yeux à cet homme, si j’en ai la licence et que cela m’amuse ?

Quoiqu’il me soit sacré tout entier, il ne m’est pas sacré sous tous rapports, à tous égards. Il ne m’est pas sacré en tant que ses bras se trouvent être longs, en tant que ses yeux se trouvent être bleus, en tant que ses pensées sont peut-être médiocres. Ni, s’il est duc, en tant qu’il est duc. Ni, s’il est chiffonnier, en tant qu’il est chiffonnier. Ce n’est rien de tout cela qui retiendrait ma main.

Ce qui la retiendrait, c’est de savoir que si quelqu’un