Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/18

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dement les hommes capables et désireux de l’entendre et de le comprendre.

Il est clair qu’un parti occupé à la conquête ou à la conservation du pouvoir gouvernemental ne peut discerner dans ces cris que du bruit. Il réagira différemment selon que ce bruit gêne celui de sa propre propagande ou au contraire le grossit. Mais en aucun cas il n’est capable d’une attention tendre et divinatrice pour en discerner la signification.

Il en est de même à un degré moindre pour les organisations qui par contagion imitent les partis, c’est-à-dire, quand la vie publique est dominée par le jeu des partis, pour toutes les organisations, y compris, par exemple, les syndicats et même les Églises.

Bien entendu, les partis et organisations similaires sont tout aussi étrangers aux scrupules de l’intelligence.

Quand la liberté d’expression se ramène en fait à la liberté de propagande pour les organisations de ce genre, les seules parties de l’âme humaine qui méritent de s’exprimer ne sont pas libres de le faire. Ou elles le sont à un degré infinitésimal, à peine davantage que dans le système totalitaire.

Or c’est le cas dans une démocratie où le jeu des partis règle la distribution du pouvoir, c’est-à-dire dans ce que nous, Français, avons jusqu’ici nommé démocratie. Car nous n’en connaissons pas d’autre. Il faut donc inventer autre chose.

Le même critérium, appliqué d’une manière analogue à toute institution publique, peut conduire à des conclusions également manifestes.

La personne n’est pas ce qui fournit ce critérium. Le cri de douloureuse surprise que suscite au fond de l’âme l’infliction du mal n’est pas quelque chose de personnel. Il ne suffit pas d’une atteinte à la personne et à ses désirs pour le faire jaillir. Il jaillit toujours par la sensation d’un contact avec l’injustice à travers la