Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/19

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douleur. Il constitue toujours, chez le dernier des hommes comme chez le Christ, une protestation impersonnelle.

Il s’élève aussi très souvent des cris de protestation personnelle, mais ceux-là sont sans importance ; on peut en provoquer autant qu’on veut sans rien violer de sacré.


Ce qui est sacré, bien loin que ce soit la personne, c’est ce qui, dans un être humain, est impersonnel.

Tout ce qui est impersonnel dans l’homme est sacré, et cela seul.

À notre époque, où les écrivains et les savants ont si étrangement usurpé la place des prêtres, le public reconnaît, avec une complaisance qui n’est nullement fondée en raison, que les facultés artistiques et scientifiques sont sacrées. C’est généralement considéré comme évident, quoique ce soit bien loin de l’être. Quand on croit devoir donner un motif, on allègue que le jeu de ces facultés est parmi les formes les plus hautes de l’épanouissement de la personne humaine.

Souvent, en effet, il est seulement cela. Dans ce cas, il est facile de se rendre compte de ce que cela vaut et de ce que cela donne.

Cela donne des attitudes envers la vie telles que celle, si commune en notre siècle, exprimée par l’horrible phrase de Blake : « Il vaut mieux étouffer un enfant dans son berceau que de conserver en soi un désir non satisfait. » Ou telles que celle qui a fait naître la conception de l’acte gratuit. Cela donne une science où sont reconnues toutes les espèces possibles de normes, de critères et de valeurs, excepté la vérité.

Le chant grégorien, les églises romanes, l’Iliade, l’invention de la géométrie, n’ont pas été, chez les êtres à travers lesquels ces choses sont passées pour venir jusqu’à nous, des occasions d’épanouissement.

La science, l’art, la littérature, la philosophie qui