Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/182

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en est obsédée, il ne peut y avoir égalité que si on suscite des stimulants autres que l’argent, et si on diminue beaucoup la part de l’argent dans les pensées des hommes.

Il faut déconsidérer l’argent. Un procédé qui pourrait y servir serait de rémunérer faiblement quelques-uns de ceux qui possèdent le plus haut degré de considération ou même de puissance.

Il faut mettre les conditions humaines dans la catégorie des choses non mesurables. Qu’il soit publiquement reconnu qu’un mineur, un ingénieur, un ministre, ne sont pas plus ou moins l’un que l’autre.



Il faut que l’argent soit déconsidéré. Son prestige empêche, non seulement que les âmes trouvent de la nourriture, mais aussi que dans l’état de famine où elles se trouvent elles connaissent leur propre faim ; car il est trop facile d’attribuer la souffrance au manque d’argent. Il empêche par suite aussi que les hommes reconnaissent les obligations dont ils sont liés. Il a presque effacé tout sentiment d’obligation, en y substituant comme unique vertu la probité en matière d’argent dans la vie privée.

Il semble peu probable qu’une vraie guérison puisse s’accomplir sans quelques actes de folie dans le genre des noces de saint François avec la Pauvreté. Aujourd’hui, bien entendu, il ne s’agirait pas de la création d’un ordre. D’ailleurs, même au xiiie siècle, l’Ordre au fond a été peu de chose dans cette merveilleuse aventure.

La difficulté aujourd’hui est bien plus grande. La Pauvreté, au moment où saint François l’a prise pour épouse, n’était pas, comme l’a dit Dante, méprisée depuis plus de mille ans. À ce moment même, et depuis un certain temps déjà, elle était embrassée