Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/206

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Je n’ai aucun droit à parler de l’amour, car il ne m’est pas permis d’ignorer que l’amour n’habite pas en moi. Là où il habite, il opère, avec un jaillissement ininterrompu d’énergie surnaturelle. Il y a dans Isaïe une phrase terrible pour moi : « Ceux qui aiment Dieu ne sont jamais fatigués. » Par suite il m’est physiquement impossible d’oublier, fût-ce un instant, que je ne suis pas de leur nombre.

Mais cela ne me gêne pas pour laisser la disposition de ma plume aux vérités qui daignent l’utiliser, parce qu’il m’est interdit de la refuser. En parlant de vérité, je veux dire, bien entendu, simplement ce qui m’apparaît manifestement comme tel.

De même je sais que je n’ai personnellement aucun droit à faire même la plus légère réserve au sujet des choses que je ne peux m’empêcher de condamner.

Je n’ai jamais eu dans la vie de la France qu’une part d’influence infinitésimale, à cause de mon incapacité, et cette parcelle infinitésimale s’est trouvée être en fait tout entière du côté du mal. Par suite devant ceux qui ont fait quelque chose de bien — ce qui est notamment à coup sûr votre cas — il ne me convient personnellement que d’admirer et de me taire.

Mais cela non plus ne peut pas m’arrêter, car je dois la vérité à ceux que j’aime.

Si, par hasard, de la vérité était passée à travers moi pour pénétrer en vous, cela donnerait au moins quelque sens à mon séjour ici.

― Bien que les pensées qui passent à travers ma plume soient très au-dessus de moi, j’y adhère comme à ce que je crois être la vérité ; et je pense avoir, de la part de Dieu, le commandement de faire la preuve expérimentale qu’elles ne sont pas incompatibles avec une forme extrême d’acte de guerre.

Je ne crois pas me tromper, parce que depuis 1914 la guerre n’a jamais quitté ma pensée, que j’ai toujours senti confusément quelque chose de ce genre, et que