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personnel, même sous les formes inférieures. Un groupe d’êtres humains ne peut pas faire même une addition. Une addition s’opère dans un esprit qui oublie momentanément qu’il existe aucun autre esprit.

Le personnel est opposé à l’impersonnel, mais il y a passage de l’un à l’autre. Il n’y a pas passage du collectif à l’impersonnel. Il faut que d’abord une collectivité se dissolve en personnes séparées pour que l’entrée dans l’impersonnel soit possible.

En ce sens seulement, la personne participe davantage du sacré que la collectivité.

Non seulement la collectivité est étrangère au sacré, mais elle égare en en fournissant une fausse imitation.

L’erreur qui attribue à la collectivité un caractère sacré est l’idolâtrie ; c’est en tout temps, en tout pays, le crime le plus répandu. Celui aux yeux de qui compte seul l’épanouissement de la personne a complètement perdu le sens même du sacré. Il est difficile de savoir laquelle des deux erreurs est pire. Souvent elles se combinent dans le même esprit à tel ou tel dosage. Mais la seconde erreur a bien moins d’énergie et de durée que la première.

Du point de vue spirituel, la lutte entre l’Allemagne de 1940 et la France de 1940 était principalement une lutte non entre la barbarie et la civilisation, non entre le mal et le bien, mais entre la première erreur et la seconde. La victoire de la première n’est pas surprenante ; la première est par elle-même la plus forte.

La subordination de la personne à la collectivité n’est pas un scandale ; c’est un fait de l’ordre des faits mécaniques, comme celle du gramme au kilogramme sur une balance. La personne est en fait toujours soumise à la collectivité, jusques et y compris dans ce qu’on nomme son épanouissement.

Par exemple, ce sont précisément les artistes et écrivains les plus enclins à regarder leur art comme l’épa-