Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nouissement de leur personne qui sont en fait les plus soumis au goût du public. Hugo ne trouvait nulle difficulté à concilier le culte de soi et le rôle d’ « écho sonore ». Des exemples comme Wilde, Gide ou les surréalistes sont encore plus clairs. Les savants situés au même niveau sont eux aussi asservis à la mode, laquelle est plus puissante encore sur la science que sur la forme des chapeaux. L’opinion collective des spécialistes est presque souveraine sur chacun d’eux.

La personne étant soumise en fait et par la nature des choses au collectif, il n’y a pas de droit naturel relativement à elle.

On a raison quand on dit que l’antiquité n’avait pas la notion du respect dû à la personne. Elle pensait beaucoup trop clairement pour une conception tellement confuse.

L’être humain n’échappe au collectif qu’en s’élevant au-dessus du personnel pour pénétrer dans l’impersonnel. À ce moment il y a quelque chose en lui, une parcelle de son âme, sur quoi rien de collectif ne peut avoir aucune prise. S’il peut s’enraciner dans le bien impersonnel, c’est-à-dire devenir capable d’y puiser une énergie, il est en état, toutes les fois qu’il pense en avoir l’obligation, de tourner contre n’importe quelle collectivité, sans s’appuyer sur aucune autre, une force à coup sûr petite, mais réelle.

Il y a des occasions où une force presque infinitésimale est décisive. Une collectivité est beaucoup plus forte qu’un homme seul ; mais toute collectivité a besoin pour exister d’opérations, dont l’addition est l’exemple élémentaire, qui ne s’accomplissent que dans un esprit en état de solitude.

Ce besoin donne la possibilité d’une prise de l’impersonnel sur le collectif, si seulement on savait étudier une méthode pour en faire usage.

Chacun de ceux qui ont pénétré dans le domaine de l’impersonnel y rencontre une responsabilité envers