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J’ai pensé que d’une part la présence de l’ennemi et l’aiguillon de l’honneur pouvaient, le cas échéant, me stimuler bien au-delà de mes forces ordinaires ; mais que, si j’avais des secrets et des vies humaines entre les mains, je n’avais aucun droit d’en courir la chance.

J’avais donc résolu en pareil cas d’abandonner dès le principe tout souci de ma dignité et de fixer la totalité de mon énergie et de mon attention exclusivement sur l’obligation du secret.

J’étais décidée en tous les cas, si j’avais jamais part à une action, à avoir toujours dans ma mémoire une série inoffensive de faux aveux, soigneusement préparés d’avance, pour me les laisser arracher pendant le processus d’effondrement de ma propre dignité.

Ce procédé doit réussir si on s’effondre avant d’avoir touché la limite où on ne peut plus s’en empêcher. Car alors on garde à travers l’effondrement le pouvoir d’attention nécessaire pour sortir les faux aveux.

Il n’est guère à craindre que l’ennemi perce à jour une telle ruse.

D’un autre côté, l’objet étant de mourir sans avoir donné d’indications, il faut parvenir le plus vite possible à un état où on soit en fait incapable d’en donner.

Précisément du fait de ma faiblesse physique, cela viendrait assez vite pour moi. Une quantité modérée de mauvais traitements me mettrait définitivement dans l’état où la pensée est du vide.

De plus, je ne suis pas sans quelque notion des procédés par lesquels on peut stimuler leurs mauvais traitements. On doit y réussir, d’abord en employant froidement au début, quand on se possède encore, la provocation la plus injurieuse et la plus grossière ; car ces gens sont des brutes qui réagissent à la provocation ; puis, presque aussitôt après, par l’effondrement ; car ce sont des sadiques qui ne peuvent s’empêcher de piétiner tout ce qui donne des marques de faiblesse.

Je pense que tout cela ensemble forme une tactique