Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/212

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je me suis trouvée intellectuellement dans une situation analogue, sans intermédiaire possible entre l’attention créatrice et la nullité, par la paralysie des autres formes d’attention.

J’ai vraiment reçu un bienfait immérité, dont j’ai fait un usage misérablement insuffisant.

— Le secours que j’espère de vous me force à vous parler de moi beaucoup plus, croyez-le bien, que je n’ai jamais fait à personne.

Je ne voudrais pas que vous me fassiez injustice en imaginant que j’affecte la sainteté — vous m’avez dit une fois quelque chose qui semblait être à cet effet. Surtout je ne veux à aucun prix que vous pensiez du bien de moi au-delà de la vérité.

Je peux vous expliquer très clairement quelle est ma situation par rapport à la sainteté.

Remarquez en passant que je n’aime pas la manière dont les chrétiens ont pris l’habitude de parler de la sainteté. Ils en parlent comme un banquier, un ingénieur, un général cultivés parleraient du génie poétique — une belle chose dont ils se savent privés, qu’ils aiment et admirent, mais qu’ils ne songeraient pas un instant à se reprocher de ne pas posséder.

Il me semble qu’en réalité la sainteté est, si j’ose dire, le minimum pour un chrétien. Elle est au chrétien ce qu’est au marchand la probité en matière d’argent, au militaire de profession la bravoure, au savant l’esprit critique.

La vertu spécifique du chrétien a pour nom la sainteté. Ou sans cela, quel autre nom ?

Mais une conspiration aussi vieille que le christianisme, et de siècle en siècle plus forte, travaille à cacher cette vérité ainsi que plusieurs autres non moins inconfortables.

Il existe en fait des marchands voleurs, des soldats lâches, etc., et des gens qui ont choisi d’aimer le Christ et sont infiniment au-dessous de la sainteté.