Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/213

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Bien entendu, c’est mon cas.

D’un autre côté, parmi les mobiles et réactions des hommes qui semblent essentiellement liés à la nature humaine, indéracinables excepté par une transformation surnaturelle, beaucoup en fait sont seulement liés à la réserve d’énergie vitale possédée par tout homme normal.

Quand les circonstances font disparaître cette réserve, ces mobiles et réactions disparaissent aussi. Avec du temps et non sans beaucoup de luttes intérieures très douloureuses. Mais quand ils ont disparu, c’est fini. Le processus est irréversible, comme le vieillissement.

C’est l’existence de tels processus irréversibles qui fait de la vie humaine une chose tellement tragique.

Le terme de ce processus est un état qui a quelque ressemblance superficielle avec le détachement des saints. Sur cette ressemblance sont fondées les analogies entre les esclaves et les disciples du Christ dans les paraboles de l’Évangile. Seulement cet état, étant l’effet d’un processus entièrement mécanique, est sans valeur.

La discrimination est facile. La sainteté s’accompagne d’un jaillissement ininterrompu d’énergie surnaturelle qui opère irrésistiblement tout autour d’elle. Cet autre état s’accompagne d’épuisement moral et souvent — comme c’est mon cas — d’épuisement physique et moral à la fois.

La phrase d’Isaïe que je vous citais ne laisse aucun doute.

Certains, il est vrai, traversent de longs et affreux malheurs sans tomber dans cet état. Mais d’abord les hommes sont doués au départ d’une quantité de vitalité très variable (à ne pas confondre avec la force ou la santé). Puis un très large pouvoir a été accordé à l’homme d’éloigner, dans le malheur, le moment où il touchera la limite, et cela par le mensonge, les com-