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tous les êtres humains. Celle de protéger en eux, non la personne, mais tout ce que la personne recouvre de fragiles possibilités de passage dans l’impersonnel.

C’est à ceux-là d’abord que doit s’adresser l’appel au respect envers le caractère sacré des êtres humains. Car pour qu’un tel appel ait une existence, il faut bien qu’il soit adressé à des êtres susceptibles de l’entendre.

Il est inutile d’expliquer à une collectivité que dans chacune des unités qui la composent il y a quelque chose qu’elle ne doit pas violer. D’abord une collectivité n’est pas quelqu’un, sinon par fiction ; elle n’a pas d’existence, sinon abstraite ; lui parler est une opération fictive. Puis, si elle était quelqu’un, elle serait quelqu’un qui n’est disposé à respecter que soi.

De plus, le plus grand danger n’est pas la tendance du collectif à comprimer la personne, mais la tendance de la personne à se précipiter, à se noyer dans le collectif. Ou peut-être le premier danger n’est-il que l’aspect apparent et trompeur du second.

S’il est inutile de dire à la collectivité que la personne est sacrée, il est inutile aussi de dire à la personne qu’elle est elle-même sacrée. Elle ne peut pas le croire. Elle ne se sent pas sacrée. La cause qui empêche que la personne se sente sacrée, c’est qu’en fait elle ne l’est pas.

S’il y a des êtres dont la conscience rende un autre témoignage, à qui leur propre personne donne un certain sentiment de sacré qu’ils croient pouvoir, par généralisation, attribuer à toute personne, ils sont dans une double illusion.

Ce qu’ils éprouvent, ce n’est pas le sentiment du sacré authentique, c’en est cette fausse imitation que produit le collectif. S’ils l’éprouvent à l’occasion de leur propre personne, c’est parce qu’elle a part au prestige collectif par la considération sociale dont elle se trouve être le siège.