Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/24

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Ainsi c’est par erreur qu’ils croient pouvoir généraliser. Quoique cette généralisation erronée procède d’un mouvement généreux, elle ne peut pas avoir assez de vertu pour qu’à leurs yeux la matière humaine anonyme cesse réellement d’être de la matière humaine anonyme. Mais il est difficile qu’ils aient l’occasion de s’en rendre compte, car ils n’ont pas contact avec elle.

Dans l’homme, la personne est une chose en détresse, qui a froid, qui court chercher un refuge et une chaleur.

Cela est ignoré de ceux chez qui elle est, ne fût-ce qu’en attente, chaudement enveloppée de considération sociale.

C’est pourquoi la philosophie personnaliste a pris naissance et s’est répandue non dans les milieux populaires, mais dans des milieux d’écrivains qui, par profession, possèdent ou espèrent acquérir un nom et une réputation.

Les rapports entre la collectivité et la personne doivent être établis avec l’unique objet d’écarter ce qui est susceptible d’empêcher la croissance et la germination mystérieuse de la partie impersonnelle de l’âme.

Pour cela, il faut d’un côté qu’il y ait autour de chaque personne de l’espace, un degré de libre disposition du temps, des possibilités pour le passage à des degrés d’attention de plus en plus élevés, de la solitude, du silence. Il faut en même temps qu’elle soit dans la chaleur, pour que la détresse ne la contraigne pas à se noyer dans le collectif.


Si tel est le bien, il semble difficile d’aller beaucoup plus loin dans le sens du mal que la société moderne, même démocratique. Notamment une usine moderne n’est peut-être pas très loin de la limite de l’horreur. Chaque être humain y est continuellement harcelé,