Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/25

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piqué par l’intervention de volontés étrangères, et en même temps l’âme est dans le froid, la détresse et l’abandon. Il faut à l’homme du silence chaleureux, on lui donne un tumulte glacé.

Le travail physique, bien qu’il soit une peine, n’est pas par lui-même une dégradation. Il n’est pas de l’art ; il n’est pas de la science ; mais il est autre chose qui a une valeur absolument égale à celle de l’art et de la science. Car il procure une possibilité égale pour l’accès à une forme impersonnelle de l’attention.

Crever les yeux à Watteau adolescent et lui faire tourner une meule n’aurait pas été un crime plus grand que de mettre à une chaîne d’usine ou sur une machine de manœuvre payé aux pièces un petit gars qui a la vocation de cette espèce de travail. Seulement cette vocation, contrairement à celle de peintre, n’est pas discernable.

Exactement dans la même mesure que l’art et la science, bien que d’une manière différente, le travail physique est un certain contact avec la réalité, la vérité, la beauté de cet univers et avec la sagesse éternelle qui en constitue l’ordonnance.

C’est pourquoi avilir le travail est un sacrilège exactement au sens où fouler aux pieds une hostie est un sacrilège.

Si ceux qui travaillent le sentaient, s’ils sentaient que du fait qu’ils en sont les victimes ils en sont en un sens les complices, leur résistance aurait un tout autre élan que celui que peut leur fournir la pensée de leur personne et de leur droit. Ce ne serait pas une revendication ; ce serait un soulèvement de l’être tout entier, farouche et désespéré comme chez une jeune fille qu’on veut mettre de force dans une maison de prostitution ; et ce serait en même temps un cri d’espérance issu du fond du cœur.

Ce sentiment habite bien en eux, mais tellement inarticulé qu’il est indiscernable pour eux-mêmes. Les