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de sanscrit dans la Gîta. Comme cela fait du bien, la langue de Krishna !

Quelles perspectives pour vous ? Voyageuses ou sédentaires ? Pour moi, j’ignore.

Vous m’interrogez sur mon breakfast. Je n’ai pas établi de règles fixes, mais le plus commode de loin, ce sont les tea-shops, dont il y a toujours deux ou trois à côté de chaque sortie de métro (et j’ai un métro direct de ma chambre à mon bureau). Ce sont les A.B.C. et Lyons.

J’ai eu une bonne surprise ici concernant la cuisine (vu ce que tout le monde dit) : certains plats traditionnels sont remarquables, surtout le roast lamb with mint sauce. Le roast pork with apple sauce aussi est très honorable. Cela doit dater d’au moins deux mille ans (vous devinez mon raisonnement).

J’ai eu une autre surprise : c’est de voir combien — dès assez longtemps avant guerre je crois — votre coin du monde a influencé le goût d’ici. On a pris goût aux mixtures, notamment aux mixtures chimiques. C’est visible surtout pour les boissons, mais aussi pour la nourriture (jellies en gélatine, sauces chimiques, etc.).

Je demandais à une Anglaise si, ici, on mange l’apple sauce seulement avec le poulet et le porc, ou aussi quelquefois comme dessert. Elle m’a dit : « Rarement, ou alors mélangé à de la confiture. »

À mes yeux, un changement dans les mœurs alimentaires est un événement de première importance pour le progrès ou la décadence de la vraie culture.

La saveur pure de la pomme constitue un contact avec la beauté de l’univers au même titre que la contemplation d’un tableau de Cézanne. (Darling M., te rappelles-tu le sonnet où Rilke essaie d’exprimer quelque chose comme cela ?) Et plus de gens ont la capacité de savourer une compote de pommes que de contempler Cézanne.