Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/248

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C. est revenu à Londres, mais je ne l’ai pas encore vu. Quoiqu’il soit un copain, ou plutôt parce qu’il est un si bon copain, je n’attends pas cette entrevue sans appréhension. Il y aura sans doute quelques « divergences de vues sociologiques ». Cette allusion[1], si vous vous souvenez, concerne dona Aurora… Mais soyez tranquilles, C. ne procède pas ainsi.

J’en ai tellement marre de ces enchevêtrements d’absurdités que par moments (et ces moments sont nombreux) la seule chose qui m’intéresse est de savoir si vous irez en Afrique du Nord.

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Les Espagnols sont enfin libérés, dit-on. Mais qui sait si Antonio est en vie ?

Il y a déjà quelque temps (vous l’avais-je dit ?), j’ai rencontré ici le fils de Br., celui pour lequel tu as tapé cette lettre, darling M. Il partait le lendemain. Drôle de garçon, très sympathique, semble-t-il, à certains égards. J’ai eu l’impression qu’il m’en a longtemps beaucoup voulu de n’avoir pas répondu à la lettre de son père (« Qui êtes-vous ? »)[2].

Ici, la vie semble monotone en ce moment. On est sous le poids de l’attente.

Comme théâtre, etc., rien d’intéressant. Les cinémas (où je ne suis jamais allée) s’obstinent à donner des choses genre « thriller » ayant pour scène l’Europe contemporaine (le continent), et pour sujet la lutte contre la Gestapo. On dit que le public — surtout les

  1. Allusion à un procès qui avait eu lieu en Espagne vers 1934. Dona Aurora, ayant tué sa fille qu’elle adorait, avait expliqué son acte, semble-t-il, par des « divergences de vues sociologiques ».
  2. À propos d’un article de S. W. publié dans une revue, le père, qui ne la connaissait pas, lui avait écrit une lettre de félicitations qui commençait par ces mots : « Mademoiselle — Qui êtes-vous ? »