Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/257

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mais pures, qu’elle vous a données. J’aimerais seulement qu’elle ait un lieu de promenades dénué de petites filles en rang d’oignon.

Aucune des circonstances actuelles de sa vie ne semble devoir l’orienter du côté « Marie en goudron »[1].

Je suis heureuse aussi que les A. et les Révérends[2] vous fassent un milieu humain sympathique. Amitiés de ma part à tous. Que la petite sache que je pense à elle, ne l’oublie pas, et souhaite très vivement que le bien spirituel qu’elle désire lui vienne un jour d’une manière authentique.

Darling M., tu crois que j’ai quelque chose à donner. C’est mal formulé. Mais j’ai moi aussi une espèce de certitude intérieure croissante qu’il se trouve en moi un dépôt d’or pur qui est à transmettre. Seulement l’expérience et l’observation de mes contemporains me persuadent de plus en plus qu’il n’y a personne pour le recevoir.

C’est un bloc massif. Ce qui s’y ajoute fait bloc avec le reste. À mesure que le bloc croît, il devient plus compact. Je ne peux pas le distribuer par petits morceaux.

Pour le recevoir, il faudrait un effort. Et un effort, c’est tellement fatigant !

Certains sentent confusément la présence de quelque chose. Mais il leur suffit d’émettre quelques épithètes élogieuses sur mon intelligence, et leur conscience est tout à fait satisfaite. Après quoi, quand on m’écoute ou me lit, c’est avec la même attention hâtive qu’on accorde à tout, en décidant intérieurement d’une manière définitive, pour chaque petit bout d’idée à mesure qu’il apparaît : « Je suis d’accord avec ceci »,

  1. Allusion à un conte de Grimm : « Marie en or et Marie en goudron ».
  2. Il s’agit d’un pasteur américain et de sa femme, voisins de palier des parents de Simone Weil.