Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/33

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ment dans la terre les puissantes racines. L’arbre est en vérité enraciné dans le ciel.

Seul ce qui vient du ciel est susceptible d’imprimer réellement une marque sur la terre.

Si on veut armer efficacement les malheureux, il ne faut mettre dans leur bouche que des mots dont le séjour propre se trouve au ciel, par-dessus le ciel, dans l’autre monde. Il ne faut pas craindre que ce soit impossible. Le malheur dispose l’âme à recevoir avidement, à boire tout ce qui vient de ce lieu. Ce sont les fournisseurs, non les consommateurs, qui manquent pour cette espèce de produits.

Le critère pour le choix des mots est facile à reconnaître et à employer. Les malheureux, submergés de mal, aspirent au bien. Il ne faut leur donner que des mots qui expriment seulement du bien, du bien à l’état pur. La discrimination est facile. Les mots auxquels peut se joindre quelque chose qui désigne un mal sont étrangers au bien pur. On exprime un blâme quand on dit : « Il met sa personne en avant. » La personne est donc étrangère au bien. On peut parler d’un abus de la démocratie. La démocratie est donc étrangère au bien. La possession d’un droit implique la possibilité d’en faire un bon ou un mauvais usage. Le droit est donc étranger au bien. Au contraire l’accomplissement d’une obligation est un bien toujours, partout. La vérité, la beauté, la justice, la compassion sont des biens toujours, partout.

Il suffit, pour être sûr qu’on dit ce qu’il faut, de se restreindre, quand il s’agit des aspirations des malheureux, aux mots et aux phrases qui expriment toujours, partout, en toute circonstance, uniquement du bien.

C’est l’un des deux seuls services qu’on puisse leur rendre avec des mots. L’autre est de trouver des mots qui expriment la vérité de leur malheur ; qui, à travers les circonstances extérieures, rendent sensible le