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ment et parfaitement défini la conception païenne. « Nous croyons au sujet des dieux que toujours, par une nécessité de la nature, chacun commande partout où il en a le pouvoir. »

La foi chrétienne n’est que le cri de l’affirmation contraire. Il en est de même pour les antiques doctrines de la Chine, de l’Inde, de l’Égypte et de la Grèce.

L’acte de la Création n’est pas un acte de puissance. C’est une abdication. Par cet acte a été établi un royaume autre que le royaume de Dieu. La réalité de ce monde est constituée par le mécanisme de la matière et l’autonomie des créatures raisonnables. C’est un royaume d’où Dieu s’est retiré. Dieu, ayant renoncé à en être le roi, ne peut y venir que comme mendiant.

La cause de cette abdication, Platon l’énonce ainsi : « Il était bon. »

La doctrine chrétienne enferme la notion d’une seconde abdication. « … Étant dans la condition de Dieu, il n’a pas regardé l’égalité avec Dieu comme un butin. Il s’est vidé. Il a pris la condition d’esclave… Il s’est abaissé au point d’être fait obéissant jusqu’à la mort… Quoiqu’étant le Fils, ce qu’il a souffert lui a enseigné l’obéissance. »

Ces paroles pourraient être une réponse aux Athéniens meurtriers de Mélos. Elles les auraient bien fait rire. Ils auraient eu raison. Elles sont absurdes. Elles sont folles.

Or, autant le contenu de ces paroles est absurde et fou, autant, proportionnellement, il serait absurde et fou pour n’importe qui de s’imposer la nécessité de solliciter un consentement là où n’existe pas le pouvoir du refus. C’est la même folie.

Mais Eschyle a dit, à propos de Prométhée : « Il est bien d’aimer au point de paraître fou. »

La folie d’amour, quand elle a saisi un être humain, transforme complètement les modalités de l’action et de la pensée. Elle est apparentée à la folie de Dieu. La